Publié le 01/10/2014
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Catégorie : Réflexions équestres

Réflexions équestres [Réflexion] Remise en question de la hiérarchie inter-espèces

“Fais attention, ce cheval est dominant !”, “Montre-lui qu’il n’est pas le dominant”, “Ne te laisse pas dominer”,…  quel cavalier n’a jamais entendu ces avertissements ? Côtoyer les chevaux exigerait de se poser en dominant vis-à-vis de son cheval.

Mais, sait-on réellement ce que signifie “dominer” ? Est-il seulement possible de se faire dominer par un cheval ? Quelle preuve a-t-on que cette hiérarchie inter-espèces existe ?

Sur cette question, le choix, la portée des mots et leur interprétation sont primordiaux. Ils portent en eux les nuances propres au langage, mais également propres à chaque personne, selon son expérience et son ressenti. Les mots sont porteurs d’une part de subjectivité, conférant des nuances parfois infimes mais ayant la capacité de transformer un discours et de parasiter la réflexion.

Il est donc important de commencer par définir les mots pour partir sur les même bases du discours.

Définition de la dominance

Un mot ambigüe

Dans toute hiérarchie il y a ce que l’on nomme des “dominants” et des “dominés”.

“Dominant” est le terme utilisé pour désigner certains individus dans les relations qu’entretiennent les animaux dans un groupe social. Il est également utilisé pour définir les relations animaux-humains.

Le dominance est un terme riche de nuances, chacune ayant un sens propre qui peut être positif ou négatif. On peut dominer quelqu’un en compétition (être meilleur que lui), dominer ses émotions (savoir les contrôler), dominer quelqu’un par sa taille ou dominer quelqu’un en le soumettant.

C’est cette dernière définition qui nous intéresse car pour dominer il faut des soumis et dans l’imaginaire collectif dominer impliquerait inévitablement un rapport de force (violent ou non) où l’un des deux partis doit capituler (volontairement ou non).

La dominance intra-espèces

La dominance intra-espèces (entre les individus d’une même espèce) existe bien chez les chevaux, tout comme elle existe chez les humains.

Dans un groupe social, une hiérarchie s’établit. Chez les chevaux cette organisation permet de répondre aux pressions de l’environnement (accès à la nourriture, à l’eau, à un abris…). Contrairement aux idées reçues, cette hiérarchie n’est pas statique, elle est fluctuante. Les êtres constituant ce groupe s’adaptent, la hiérarchie change selon l’évolution des individus.

Cette hiérarchie repose sur le langage propre à chaque espèce : les spécimens d’une même espèce sont en mesure de communiquer entre eux et de transmettre leurs ressentis par rapport à une situation. Coucher les oreilles, montrer le blanc des yeux, mâchouiller,… sont des signaux faisant partie du langage du cheval et que chaque membre de l’espèce comprend instinctivement.

Il est commun de lire que le cheval agressif d’un groupe social (celui qui mord, qui chasse, qui botte) serait le dominant (la dominance est associée à l’agressivité), cela est pourtant loin d’être une vérité. La dominance n’a qu’un caractère relatif, inconstant et repose en grande partie sur le bon vouloir de chaque membre du groupe social.

Les échanges violents entre chevaux pour des questions hiérarchiques son extrêmement rares, le cheval est un animal par nature pacifique, qui va éviter autant que possible de se mettre dans une position de danger.

Chaque cheval, quel que soit son rang, est susceptible de mordre ou botter un autre cheval selon la situation. Des interactions riches et complexes sont réduites à une relation de dominance et aux conclusions simplistes : “il est le dominant”, “il est le dominé”.

La confusion est faite entre son tempérament et sa position dans le groupe.

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La dominance inter-espèces

La théorie de la dominance inter-espèces stipule qu’il est possible d’établir une hiérarchie de dominance entre les humains et les animaux.

Un humain pourrait être dominé par un cheval, tout comme un cheval pourrait dominer un homme malgré le fait qu’ils ne parlent pas la même langue et n’utilisent pas les mêmes codes corporels. Le cheval n’aurait pas conscience que l’humain n’est pas un cheval.

Cette théorie est particulièrement mise en pratique par certains chuchoteurs ou éthologues qui miment les réactions et attitudes de chevaux en liberté, persuadés qu’ils s’inscrivent ainsi dans un même dialogue avec le cheval et donc dans une hiérarchie inter-espèces.

Les chevaux entiers sont les premiers concernés par la théorie de la dominance (grâce au mythe de l’étalon fougueux, dangereux et incontrôlable).

Mais les choses sont-elles vraiment si simples ? Est-ce qu’il suffirait de grossièrement imiter certaines attitudes du cheval pour qu’il nous considère comme l’un des siens et se place dans une hiérarchie inter-spécifiques ?

Remise en question de la théorie de la dominance inter-espèces

La dominance inter-espèces concerne les relations entre des espèces différentes, ici homme-cheval. Aucune étude scientifique n’a prouvé son existence. Or, pour qu’une étude soit valable, celle-ci doit apporter des preuves scientifiques irréfutables de l’existence de ce qu’elle énonce.

Voici quelques pistes de réflexion soulignant les fragilités de cette théorie.

Deux espèces, deux langages

La hiérarchie de dominance n’a de sens que dans des groupements d’individus de la même espèce. Ainsi, même si le cheval est une espèce sociale et que nous le sommes également, nous ne formons pas pour autant un groupe social avec eux.

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Comment pourrions-nous prétendre nous faire passer pour un membre de leur groupe social alors que nous n’avons pas la possibilité de communiquer sur le même plan qu’eux ? Nos oreilles ne changent pas de position, nous n’avons pas de queue, nous ne nous déplaçons pas sur 4 jambes et surtout… nous avons souvent bien du mal à les comprendre !

Alors que ses congénères interprèteraient instinctivement un changement d’attitude infime, nous n’avons même pas la faculté de le relever.

Le cheval sait qu’il s’adresse à une autre espèce. De part l’incompréhension que cela génère certains apprennent même à exagérer leurs mimiques pour mieux se faire comprendre de leur congénère humain.

Confusion entre dominance, éducation et tempérament

Le tempérament du cheval est lié à son histoire et… à la génétique ! Chaque cheval, tout comme chaque être humain, est guidé en partie par ce qui est inscrit dans ses gènes.

Un cheval pourra donc être d’une nature plutôt peureuse, fonceuse, curieuse, intrépide,… Souvent, des raccourcis navrants en résultent : cheval intrépide / fonceur = dominant, cheval timide / peureux = soumis. Encore une fois, toutes les relations sociales complexes et souples se résument à deux principes simplistes, pauvres et souvent faux.

Mais la génétique n’explique pas tout, ses échanges avec son environnement social jouent un rôle important et vont forger en partie sa personnalité. Il n’y a pas de cheval dominant vis-à-vis de l’homme, votre cheval n’exprime pas par son attitude le besoin de devenir le chef. C’est son tempérament qui se manifeste et son éducation qui se révèle.

Un cheval qui vous fonce dessus n’est pas un cheval qui essaye de vous dominer, c’est un cheval qui n’a pas été éduqué au respect de l’humain et c’est très différent ! Ce cheval n’a aucunement besoin d’être dominé, mais bien d’être éduqué.

L’impossible reproduction

Les groupes sociaux se forment pour survivre et cette conservation passe naturellement par la reproduction. Chasser les concurrents, “conquérir” une femelle, se reproduire, sevrer son poulain, chasser la progéniture,… tout ce processus social fait partie intégrante de la vie du cheval et  justifie les placements hiérarchiques de chacun dans le groupe.

L’absence de reproduction est une des explications de la non possibilité de hiérarchie inter-spécifiques.

Le processus social ne peut se mettre en place, l’humain n’est ni un concurrent, ni une progéniture, il se place totalement en dehors de la hiérarchie habituelle intra-espèce. La relation que nous nouons avec les chevaux repose sur d’autres principes créés par l’Homme.

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Respect et dominance interdépendants?

Un amalgame est très souvent fait : s’il ne faut pas dominer, comment se faire respecter, le cheval pouvant être un animal dangereux ?

Pour se faire respecter, pas besoin de dominer

La remise en cause de la hiérarchie inter-espèces ne sous entend ni laxisme, ni anthropomorphisme, ni absence de règles. Ces dernières sont nécessaires pour une bonne cohabitation.

Ces règles ne reposent pas sur la dominance mais sur le bon sens, le respect de chacun et nos connaissances éthologiques, biologiques, physiques et cognitives du cheval.

Chaque cavalier doit s’efforcer de continuer sans cesse d’enrichir ses savoirs équestres, de les compléter, de les comparer, de les remettre en question et de SE remettre en question.

Le respect, ça va dans les deux sens !

A-t-on demandé l’avis du cheval pour l’enfermer dans un box, lui mettre un bout de métal dans la bouche, lui faire exécuter des prouesses physiques tout en étant chargé de plusieurs kilos sur le dos ? Aux dernières nouvelles, non…

Et si nous commencions par prendre en compte le fait que les chevaux n’aient nullement besoin de nous, que c’est nous qui avons besoin d’eux et leur imposons des règles qui vont parfois contre leur nature (voir l’article “Sommes nous cruels avec les chevaux ?“).

Et si nous commencions, avant d’attendre ce respect du cheval qui serait un dû,… par LE respecter ? Respecter ses besoins, écouter ce qu’il nous dit, l’observer, l’aimer, et ne pas le traiter comme un esclave, un faire-valoir pour imposer le peu d’autorité que nous avons sous couvert de “dominance”.

Respecter son cheval c’est savoir le lire, l’écouter, le comprendre.

Un communication et une complicité à faire grandir

En mettant vos préjugés de côtés, vous apprécierez une nouvelle relation avec votre cheval, se basant sur le respect et la bienveillance.

La relation se trouve assainie, le cheval n’est pas un être manipulateur qui chercherait pas tous les moyens à prendre l’ascendant sur vous (anthropomorphisme te voila), mais bien un animal qui demande bien peu par rapport à ce qu’il nous donne.

Prêt à faire le premier pas?

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 Quelques liens pour aller plus loin…

– “Dominance : mythe ou réalité”, Barry Eaton, les éditions du Génie Canin

– “Dominance et hiérarchie en question” (pdf)

– “Homme et cheval : partenaires”

Cheval Partage est une belle manière d'associer mes passions : les chevaux, l'écriture et la littérature spécialisée. Partager ma vision de ce monde, si riche et varié, est un plaisir et une source intarissable d'inspiration !

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Commentaires publiés

8 commentaires.

  • Article très intéressant, auquel j’adhère en très grande partie !

    Petites nuances : la dominance intraspécifique, n’est pas un attribut de l’identité d’un cheval, il n’existe pas des “chevaux dominants” et des “chevaux dominés” mais chaque relation entre deux chevaux comporte une notion de hiérarchie et qui ne concerne que l’accès aux ressources rares (nourriture quand elle est rare, abri, eau, accès aux juments pour les étalons).
    La plupart du temps, les paires mettent en place très rapidement les statuts hiérarchiques qui ne sont pas contestés par la suite. La dominance n’existe donc qu’entre paires de chevaux, avec en général peu de remises en question. Il y a quelques “réévaluation du statut hiérarchique” par des comportements agonistiques, la plupart du temps des menaces (de tête, d’oreilles, de dents), sans que les chevaux se touchent ou se blessent. Entre étalons, il existe des rituels (parade, rituels autour des crottins) qui ont aussi pour fonction de réévaluer le statut hiérarchique et ne sont pas agressifs ou agonistiques (dans le but d’établir une distance entre les individus).

    La plupart de ces interactions ne se terminent pas clairement par un gagnant et un perdant (qui s’éloignerait et abdiquerait).
    La dominance n’est donc liée que par paire, il n’y a souvent de hiérarchie linéaire (A domine B qui domine C qui domine D) mais plutôt triangulaire (A domine B, B domine C mais C domine A). La dominance a pour fonction principale d’éviter les conflits. Une fois que le statut est clairement établi, chaque cheval peut prévoir le comportement de l’autre et éviter de perdre du temps en conflits inutiles. Le cheval est effectivement de nature très pacifique.

    Et comme tu le dis parfaitement dans l’article, la dominance interspécifique n’est pas possible, parce que nous ne sommes pas en compétition avec les chevaux pour des ressources limitées (nourriture, abri, partenaires sexuels) !

    Mais oui, la communication interspécifique est possible, et si elle se fonde sur le respect mutuel, des demandes et des attentes claires, l’absence de douleur pour l’un et pour l’autre, chacun des individus pourra en retirer des satisfactions.

    Source : révision de l’examen du DU d’éthologie équine que je passe dans quelques jours 😉

  • Merci pour ton message et pour ces précisions 🙂

    Pour se concentrer sur la hiérarchie intra-espèces il faudrait un article à part entière.

    Il y a évidemment des précisions à apporter.
    Mon objectif était de rendre l’information la plus accessible et “digeste” possible (d’où l’utilisation des termes “dominants” et “dominés” ) sans perdre le lecteur sous des détails qui noieraient l’objet principal de cet article : proposer une remise en question et inviter à la réflexion.
    Ce qui semble évident pour les connaisseurs et spécialistes (bonne chance pour ton DU 🙂 ) : ne l’est pas pour tous. 😉

  • Salut Claire,
    j’ai trouvé ton article super intéressant et si bien écrit.
    je suis tout à fait d’accord qu’il faut respecter sa monture et c’est ce que j’essaie de faire avec mon petit Ugy.
    je suis sûre que tu m’as reconnue….;-)
    bizzz
    Cathy

  • Merci Cathy 🙂

  • Excellent article!

  • Merci Ludovic !

  • Article très intéressant, je suis en accord avec ce que vous dites et j’aime accentuer sur le fait que le cheval ne peut en aucun cas faire preuve de respect envers un humain, il n’a pas les capacités cérébrales pour ça, par contre l’homme, lui, en a le devoir ( même s’il est très peu souvent respecté ). Merci pour ces informations, ça me donne vraiment envie de continuer à vous lire. Je suis toujours à l’affût de nombreux articles sur la reflexion equine.

    Cependant, j’aimerais vous poser une question concernant ce que vous dites sur la hiérarchie en troupeau, quand vous dites, je cite “L’absence de reproduction est une des explications de la non possibilité de hiérarchie inter-spécifiques.” je sors un peu du contexte, veuillez m’excuser, mais pensez-vous que les hongres ont alors, un rôle dans un troupeau d’un point de vue hiérarchique ?

    J’ai très souvent entendu parler des troupeaux d’adolescents, qui correspond aux troupeaux de jeunes chevaux adolescent se regroupant suite à une expulsion de sa famille, pour ensuite se séparer de-nouveau et intégrer d’autres groupes ou bien former un nouveau troupeau entre eux, mettant en scène divers conflits pour savoir qui sera l’étalon reproducteur.

    Ainsi, on dit de ces troupeaux qu’ils ressemblent beaucoup à ce créait par l’homme, dans les pensions équines par exemple, on évite tout contact avec des étalons et les juments sont en troupeaux avec des hongres (je ne fais aucune critique, mes chevaux sont dans ce cas).

    Merci d’avance pour votre réponse !!

  • Merci Tayci pour votre message.

    “Pensez-vous que les hongres ont alors, un rôle dans un troupeau d’un point de vue hiérarchique ?”

    Il faut observer au cas par cas. Certains hongres gardent le comportement de mâle reproducteur de manière plus ou moins marquée. D’autres voient ce comportement totalement disparaître.
    Lorsque ce comportement disparaît, le cheval ne se place plus dans une logique de reproduction vis-à-vis des femelles, mais s’intègre bien au groupe social, l’hongre devient le “3ème sexe”. Les interactions sociales se développent différemment et sur d’autres plans.

    “Le processus social ne peut se mettre en place, l’humain n’est ni un concurrent, ni une progéniture, il se place totalement en dehors de la hiérarchie habituelle intra-espèce.”
    L’hongre ne se place pas en dehors de cette hiérarchie (contrairement à nous), il se place différemment.

    La non-reproduction pour justifier ma réflexion est l’un des arguments avancés, c’est une partie d’un tout.

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